Page 13 - Cinenews-N°106
P. 13
13
Elle prenait sa voiture tous les la création du centre. Est-
matins, pour aller d’un collège à ce un happy end, en quelque
l’autre. C’est le modèle donc que sorte, comme si la boucle était
j’avais sous les yeux étant enfant. bouclée ?
Et puis, parce que les profs sont En Oui, boucler la boucle, absolument.
les héros de mon enfance. Je pense Si je pense à mon enfance, au centre
que je ne serais pas qui je suis sans s’exprimant, culturel où j’ai appris à regarder
les profs et les éducateurs sociaux on arrive à le monde, pour pouvoir un jour
de mon enfance, ceux de la MJC raconter cette histoire à travers
de Sarcelles. Ce sont eux qui m’ont faire sortir d’autres personnages. C’est sûr,
construit, qui m’ont aidé à devenir « Haut et fort » reste mon film le
qui je suis et je garde tout ça très, les choses les plus autobiographique. J’ai appris
très fort en moi. Cette notion de à regarder le monde à travers
transmission est centrale. plus belles, les arts et la culture. Si je n’avais
pas eu, à un moment, ce centre
La question du poids de la les plus culturel sur mon chemin, je ne
religion est aussi très présente serais pas devenu réalisateur, tout
dans le film. fortes, simplement. Comme eux n’auraient
C’est une problématique qui hante peut-être pas pu devenir rappeurs
les jeunes, et qui m’interpelle aussi, et à les faire si je n’avais pas rencontré la
qui m’intéresse fondamentalement. Positive School et le Centre de Sidi
Je suis très surpris chaque fois entendre. Moumen.
que j’entends des gens opposer Et puis, c’est aussi une façon de
la religion à la pratique des arts. dire que dans un quartier où il s’est
Je voulais montrer dans ce film passé quelque chose d’aussi terrible
que seuls les extrêmes, et les que les attentats du 16 mai 2003, il
extrémistes, pensent comme ça et pas assez nourri. Justement, c’est à y a aussi du beau qui peut en sortir,
qu’au contraire, on vit dans une ça que sert ce genre de lieu, c’est de il y a aussi du positif. Montrer ce
société qui est tolérante. On le voit sortir de cette schizophrénie dont positif à travers cette jeunesse, pour
d’ailleurs dans le film, certains ils discutent à un moment dans moi, c’est fondamental.
jeunes sont pratiquants, d’autres ne le film. La société leur permet-
le sont pas ; des filles sont voilées elle de s’épanouir dans l’art ? Où D’ailleurs, qu’est-ce que ce film
et pratiquent le rap. La religion elle ne leur permet rien du tout ? a changé pour eux, sur le plan
n’est pas un problème ; elle ne doit N’est-ce pas à eux d’aller chercher personnel ?
pas être un problème. C’est ça que leur liberté, de faire sauter tous Je pense que ça leur a donné
j’avais envie de dire. D’où d’ailleurs les verrous ? C’est cela qui est confiance en eux. Une capacité
cette scène à la West Side Story intéressant d’interroger dans cette aussi à comprendre qu’en
entre tous ces personnages que le jeunesse qui a les yeux tournés s’exprimant, on arrive à faire sortir
chant et la danse peuvent réunir. vers l’étranger, mais qui, en même les choses, les plus belles et les plus
temps, a les pieds ancrés dans la fortes, et à les faire entendre.
Magnifique scène ! Mais on les tradition. Alors, que font-ils avec
sent très tiraillés à l’intérieur. tout ça ? Comment ils s’en sortent ? On peut dire qu’un film peut
C’est sûr, il y a une forme de Voilà ce que montre le film. changer quelque chose dans une
schizophrénie qui s’installe en société ?
eux, forcément. Parce que quand C’était important pour vous Oui, complètement, si je n’étais
on grandit dans une société où la de tourner au Centre de Sidi pas convaincu de ça, je ne ferais
tradition est aussi forte, elle peut Moumen. Si on remet en pas de cinéma. Le cinéma est
très rapidement devenir un carcan, perspective toute l’histoire, cet art populaire par excellence
si nos rêves ne sont pas assez depuis les attentats du 16 mai, qui a un pouvoir de changement
solides et si notre intérieur n’est « Les chevaux de Dieu », puis extraordinaire.
Cinenews Octobre - Décembre 2021