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                      Vous faites le portrait d’une femme
                      d’aujourd’hui, à la fois déterminée, hardie,
                      passionnée et illettrée. A-t-elle existé ?
                      Touda est une héritière d’héroïnes en    Leur voix était
                      rébellion contre tous les pouvoirs établis,
                      les Cheikhates. Leur voix était une arme et
                      leur chant, la Aïta, des cartouches. Touda est   une arme et leur
                      ainsi. Elle veut transcender les frontières et
                      les interdits, et elle se bat contre toutes les   chant, la Aïta, des
                      formes de domination contemporaine. Le
                                                                 cartouches.
                      film est porté par cet esprit de rébellion.
                      Comment sont perçues ces Cheikhates au Maroc ?
                      Les Cheikhates (féminin de cheikh) ont
                      été adulées, admirées par tout le peuple
                      marocain. Elles incarnaient son âme, sa voix,
                      parce qu’elles étaient de tous les combats.
                      Dans les années 60/70, les campagnes étaient
                      pauvres, et de nombreuses Cheikhates ont
                      dû partir vers les villes pour gagner leur
                      vie. Là, elles ont été contraintes à changer   Les figures masculines ne sont
                      de répertoire pour survivre, répondant   pas toutes bienveillantes.
                      aux envies du public et chantant dans les   Mais il y en a. Tout n’est pas noir ou blanc,
                      cabarets. Mais voir des femmes se produire   dans ce monde de la nuit. Il y a des hommes
                      ainsi dans des endroits mal famés, faire le   qui protègent ces femmes et qui les aiment.
                      spectacle et boire de l’alcool, a suffi à associer   Dans la vie de Touda, il y a son fils, Yassine,
                      la plupart d’entre elles à des prostituées.   qui est tout pour elle. Il y a aussi ce vieux
                      Petit à petit, leur image s’est dégradée (…) J’ai   violoniste, dont on ne connaîtra jamais le nom,
                      voulu redonner leurs lettres de noblesse à ces   qui cherche à l’accompagner dans son rêve de
                      artistes. C’est le moteur de Touda dans le film,   s’élever. Il y a enfin son père, un personnage
                      restaurer un statut et défendre une tradition.   peu commun, qui la sou- tient face à l’opprobre
                                                               général et au rejet de son propre frère.
                      La première scène est lumineuse et
                      festive puis prend un tour dramatique.   Émancipation féminine, révolte, combat...
                      Quelle était la nécessité pour vous   Le défi pour Touda est de taille...
                      d’une telle scène dès l’ouverture ?    J’ai voulu faire un film sur la croyance, sur
                      Leur vie est faite ainsi. J’ai été nourri par   l’émancipation et sur la transcendance.
                      les tranches de vie que ces femmes m’ont   Dès que Touda chante, elle est en transe,
                      racontées, des histoires qui m’ont laissé   portée par un lien au sacré intimement lié
                      parfois sans voix. C’est dur mais c’est une   à l’Aïta. Sa foi en son art est inébranlable et
                      réalité. «C’est notre quotidien», m’a dit la   rien ne peut la faire abdiquer. Elle n’a rien
                      Cheikha qui danse avec Touda au début   de religieux mais elle incarne une forme de
                      du film. Ces femmes vivent en permanence   mysticisme. D’ailleurs, quand elle est assise
                      dans cette violence, elles sont seules et   sur son lit, son chant fusionne avec le ‘sacré’,
                      surtout démunies, mais elles ont aussi une   avec l’appel à la prière. Elle donne une voix
                      forme de résilience qui les sauve. (…) Donc   à cet appel, appel qui n’est d’ailleurs porté
                      oui, commencer par la beauté d’un chant,   dans la tradition que par les hommes. Ainsi,
                      pour ensuite sombrer dans la cruauté qui   elle transforme l’interdit en un moment de
                      constitue aussi la vie de ses femmes me   grâce, et c’est cette grâce qui la soutient. Elle
                      semblait important pour plonger dans     ne pourrait pas faire ce qu’elle fait, elle ne
                      leur réalité d’emblée, sans s’y préparer.   pourrait pas se battre ainsi pour elle-même




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