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injecté aussi une dose de burlesque ainsi qu’une dimension   J’ai travaillé avec un directeur de casting marocain,
              absurde. J’avais en tête la figure de Sisyphe et de son rocher.   Amine Louadni, qui a des contacts dans tous les
              Mais c’est vrai que mon intention n’était pas d’aller vers la   quartiers populaires de Casablanca. J’ai rencontré
              pure comédie ou le pur burlesque. Quand on circule dans   une centaine de jeunes. J’ai remarqué Ayoub sur
              les marges de Casablanca la nuit, cette dimension burlesque   une photo, il me faisait penser à Franco Citti dans
              est très présente : les gens sont souvent de véritables   Accatone. Je l’ai rencontré, je l’ai filmé, il dégageait
              personnages qui cabotinent. Je pense que le burlesque   vraiment ce côté pasolinien. J’ai continué à chercher
              du film vient plus de cet aspect documentaire que d’une   et quand j’ai voulu revoir Ayoub, il avait disparu.
              intention de ma part d’appuyer cette dimension. Mon   On l’a recherché et retrouvé dans son village. Il est
              rapport à Casablanca a beaucoup nourri mon écriture.  revenu vers nous mais ne comprenait pas : “je ne
                                                               suis pas acteur” disait-il. Il fallait le convaincre.
              L’ironie est également présente dans l’arc narratif du   J’ai passé du temps avec lui dans son quartier, on a
              film : Hassan est sans arrêt dérouté de son chemin et   bu des cafés, ça l’a mis à l’aise. Il était intense dans
              finit par être jeté dans la gueule du loup de la bande   tous ses gestes, même quand il touillait son café !
              rivale.                                          Le plateau a été un déclic : il est entré dans le jeu, il
              Ce trajet incarne la thématique de l’absurde. On évoquait   a compris tout de suite les enjeux. Il n’avait pas de
              Sisyphe, c’est ce qui arrive à Hassan. Son trajet est une   texte, je lui expliquais les points importants de la
              boucle et il finit par arriver là où il ne devait surtout pas   séquence et il la jouait, se l’appropriait, sans texte à
              arriver. Il part de l’aube, termine à l’aube. Cela donne   apprendre. Il nous a tous étonnés. Il se comportait
              une dimension existentialiste au film. Hassan lutte pour   comme un acteur professionnel mais avec son
              essayer de s’en sortir, et au final, il revient à son point de   authenticité brute. Le travail avec lui résultait d’un
              départ. La lecture au premier degré de ce film est assez   mélange entre des petites indications très précises
              simple : il s’agit de se débarrasser d’un corps. La dimension   (« soit en colère… lève les yeux… ») et sa liberté pour
              sociale, existentialiste, filiale, tout cela forme les couches   s’approprier la scène.
              souterraines du film.
                                                               Hassan, le père, est joué par Abdellatif 
              Le film est nocturne, l’image est superbe, les visages   Masstouri, un homme à la fois beau et cabossé.
              des acteurs sont incroyables. Comment s’est passée   Je ne parvenais pas à trouver l’acteur non
              votre collaboration avec Amine Berrada, chef opérateur   professionnel pour le père. À partir d’un certain
              expérimenté ?                                    âge, les hommes que je rencontrais étaient très
              Je connaissais Amine, on avait fait la FEMIS à quelques   intimidés, alors qu’Hassan est quelqu’un de
              années d’intervalle, j’apprécie son travail, j’avais envie de   décidé. C’est finalement Ayoub qui m’a présenté
              travailler avec lui, et de plus, il parle la langue. La première   Abdellatif, voyant que je ne trouvais pas. Abdellatif
              chose dont je lui ai parlé, c’est que la technique ne devait   tenait un petit stand informel de sardines
              pas écraser les acteurs. Amine l’a très vite compris. Pour   grillées. Son visage, à la fois solaire et marqué,
              chaque séquence, on a pris le temps de mettre en place   m’a impressionné. On lui a proposé, on a fait des
              un éclairage pour que les acteurs et l’équipe puissent   essais avec les deux acteurs, ça a fonctionné. La
              évoluer librement, quasiment à 360°. Je lui ai dit aussi   vie d’Abdellatif est très chargée, romanesque :
              que je souhaitais une image très organique, très charnelle,   il a bourlingué en Europe, a été champion de
              en assumant les défauts. Il ne fallait pas faire du léché, je   taekwondo, fait de la prison… Il avait quelque chose
              préfère quand il y a du grain, quand c’est un peu baveux.   à exprimer. Lui aussi a vite compris comment
              Sur le plateau, on s’adaptait chaque jour en fonction de ce   fonctionnait le cinéma. Parfois il était fatigué, à
              qui se passait. Pour la scène autour du puits, Amine avait   d’autres moments il s’embrouillait avec les gars du
              prévu d’installer des projecteurs sur grue afin d’éclairer   quartier, mais comme avec Ayoub, j’avais créé une
              toute la zone du puits : c’était trop lourd et compliqué, les   relation avec lui en amont, et du coup, il était très
              deux acteurs ne comprenaient pas trop, ça donnait une   impliqué. Les deux étaient très heureux et fiers de
              image trop conventionnelle. On s’est regardés, comprenant   voir qu’une équipe de cinéma leur faisait confiance,
              que le film n’était pas là. Finalement, on a allumé les phares   ils avaient envie que ça marche.
              de la camionnette, on a vu ce que ça donnait : les visages
              surgissaient de l’obscurité, y retournaient… On s’est dit
              “voilà, le film est là”. On ne voit pas tout parfaitement, il y a
              des défauts, mais c’est vivant, c’est dans le ton du film.

              Pouvez-vous parler de Ayoub Elaïd qui joue Issam, le 
              fils, avec beaucoup d’intensité ?



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