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Aussi Sonate nocturne est une rencontre intime
avec la littérature, et plus particulièrement
avec Les Nuits blanches de Fédor Dostoïevski.
Ce court roman m’a toujours bouleversé par
sa simplicité et sa profondeur : l’histoire d’un
rêveur solitaire, traversé par la grâce fragile
d’une rencontre éphémère, qui devient pour lui
une révélation existentielle. Ce texte a été pour
moi une source d’inspiration majeure, non pas
pour en faire une adaptation fidèle, mais pour
en retrouver l’essence : la beauté d’un amour
contrarié, la vérité d’une émotion fugitive,
l’intensité d’une nuit qui peut changer une vie.
J’ai voulu transposer cette sensibilité dans
un contexte marocain, en lui donnant une
dimension plus contemporaine et universelle.
Sonate nocturne est né de cette envie de
dialoguer avec Dostoïevski, de transformer
ses mots en images, ses silences en regards,
ses errances nocturnes en une matière
cinématographique. Ce qui m’intéressait, ce
n’était pas tant l’intrigue que l’atmosphère : se fissure, parfois s’effondre. L’amour
la nuit comme territoire de solitude, de désirs contrarié, pour moi, n’est pas seulement
inavoués, mais aussi de possibles rencontres. un obstacle dramatique : c’est l’expression
Ce film, au fond, est une tentative de faire la plus sincère de cette confusion qui
entrer cette expérience intime — la rêverie, la accompagne les premiers élans du cœur.
mélancolie, le désir inassouvi — dans le langage Ce film est donc né de l’envie de replonger
du cinéma marocain. dans ce tumulte intérieur, de le transposer
à l’écran avec sincérité. J’ai voulu que les
Qu’est-ce qui vous a poussé à raconter cette personnages portent cette tension entre la
histoire d’amour contrarié ? beauté d’un désir absolu et l’impossibilité
Ce qui m’a poussé à raconter cette histoire, de l’atteindre pleinement. C’est une façon,
c’est sans doute le souvenir persistant de mes peut-être, de rendre hommage à cette période
propres premiers amours. Ces expériences de la vie où chaque rencontre devient un
adolescentes ou de jeune adulte, où chaque événement, chaque regard une promesse, et
émotion semble absolue, où le cœur s’emballe chaque séparation une blessure inoubliable.
à la moindre rencontre, mais où la confusion Je voulais aussi montrer que l’amour, lorsqu’il
est tout aussi grande. Le premier amour est surgit, n’est jamais simple, jamais donné. Il
rarement limpide : il est traversé de doutes, est toujours traversé par des empêchements,
de malentendus, d’attentes inassouvies. On des contradictions, des blessures anciennes.
croit toucher à l’éternité et, en même temps, J’ai voulu explorer cet instant fragile où deux
on sent que tout peut se dérober d’un instant êtres se trouvent et se reconnaissent, mais où
à l’autre. Cette contradiction m’a toujours les forces du monde – sociales, culturelles,
fasciné : l’amour naissant comme un élan pur, parfois intimes – dressent des barrières entre
mais déjà menacé par les limites du réel. eux. L’histoire contrariée n’est pas un simple
obstacle dramatique : elle est la condition
Sonate nocturne s’ancre dans cette mémoire- même qui révèle la profondeur du sentiment.
là. Je voulais retrouver cette intensité fragile, Dans l’amour contrarié, il y a cette tension
ce vertige des débuts où les frontières entre entre le désir absolu et l’impossible, et c’est
rêve et réalité se brouillent. Dans la jeunesse, dans cette tension que le cinéma, je crois,
chaque sentiment est vécu comme une vérité trouve sa force la plus bouleversante.
incontestable, et pourtant il se transforme,
Cinenews Sept.-Oct.-Nov. 2025