Page 17 - Cinenews-N°112
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               Aussi Sonate nocturne est une rencontre intime
               avec la littérature, et plus particulièrement
               avec Les Nuits blanches de Fédor Dostoïevski.
               Ce court roman m’a toujours bouleversé par
               sa simplicité et sa profondeur : l’histoire d’un
               rêveur solitaire, traversé par la grâce fragile
               d’une rencontre éphémère, qui devient pour lui
               une révélation existentielle. Ce texte a été pour
               moi une source d’inspiration majeure, non pas
               pour en faire une adaptation fidèle, mais pour
               en retrouver l’essence : la beauté d’un amour
               contrarié, la vérité d’une émotion fugitive,
               l’intensité d’une nuit qui peut changer une vie.
               J’ai voulu transposer cette sensibilité dans
               un contexte marocain, en lui donnant une
               dimension plus contemporaine et universelle.
               Sonate nocturne est né de cette envie de
               dialoguer avec Dostoïevski, de transformer
               ses mots en images, ses silences en regards,
               ses errances nocturnes en une matière
               cinématographique. Ce qui m’intéressait, ce
               n’était pas tant l’intrigue que l’atmosphère :   se fissure, parfois s’effondre. L’amour
               la nuit comme territoire de solitude, de désirs   contrarié, pour moi, n’est pas seulement
               inavoués, mais aussi de possibles rencontres.  un obstacle dramatique : c’est l’expression
               Ce film, au fond, est une tentative de faire   la plus sincère de cette confusion qui
               entrer cette expérience intime — la rêverie, la   accompagne les premiers élans du cœur.
               mélancolie, le désir inassouvi — dans le langage   Ce film est donc né de l’envie de replonger
               du cinéma marocain.                       dans ce tumulte intérieur, de le transposer
                                                         à l’écran avec sincérité. J’ai voulu que les
               Qu’est-ce qui vous a poussé à raconter cette   personnages portent cette tension entre la
               histoire d’amour contrarié ?              beauté d’un désir absolu et l’impossibilité
               Ce qui m’a poussé à raconter cette histoire,   de l’atteindre pleinement. C’est une façon,
               c’est sans doute le souvenir persistant de mes   peut-être, de rendre hommage à cette période
               propres premiers amours. Ces expériences   de la vie où chaque rencontre devient un
               adolescentes ou de jeune adulte, où chaque   événement, chaque regard une promesse, et
               émotion semble absolue, où le cœur s’emballe   chaque séparation une blessure inoubliable.
               à la moindre rencontre, mais où la confusion   Je voulais aussi montrer que l’amour, lorsqu’il
               est tout aussi grande. Le premier amour est   surgit, n’est jamais simple, jamais donné. Il
               rarement limpide : il est traversé de doutes,   est toujours traversé par des empêchements,
               de malentendus, d’attentes inassouvies. On   des contradictions, des blessures anciennes.
               croit toucher à l’éternité et, en même temps,   J’ai voulu explorer cet instant fragile où deux
               on sent que tout peut se dérober d’un instant   êtres se trouvent et se reconnaissent, mais où
               à l’autre. Cette contradiction m’a toujours   les forces du monde – sociales, culturelles,
               fasciné : l’amour naissant comme un élan pur,   parfois intimes – dressent des barrières entre
               mais déjà menacé par les limites du réel.  eux. L’histoire contrariée n’est pas un simple
                                                         obstacle dramatique : elle est la condition
               Sonate nocturne s’ancre dans cette mémoire-  même qui révèle la profondeur du sentiment.
               là. Je voulais retrouver cette intensité fragile,   Dans l’amour contrarié, il y a cette tension
               ce vertige des débuts où les frontières entre   entre le désir absolu et l’impossible, et c’est
               rêve et réalité se brouillent. Dans la jeunesse,   dans cette tension que le cinéma, je crois,
               chaque sentiment est vécu comme une vérité   trouve sa force la plus bouleversante.
               incontestable, et pourtant il se transforme,



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